Formation VTC Travailleurs de plates-formes : une petite charte 

Formation VTC Travailleurs de plates-formes : une petite charte

LE CERCLE – La France va renforcer la présomption d’indépendance des travailleurs des plates-formes via une charte rendue obligatoire par la loi mobilités. Cette mesure va créer une zone grise entre le salarié et l’indépendant, écrivent deux avocats dans une tribune.

La version définitive de l’article 20 de la loi orientation mobilités (LOM) relatif aux travailleurs des plates-formes ne devrait plus changer. Il propose aux plates-formes de mettre en place une charte contenant huit catégories d’engagements. Une fois homologuée par l’administration, son application ne pourra pas être invoquée pour revendiquer un statut de salarié.

Par un étrange concours de circonstances, au même moment, l’Etat de Californie (Etats-Unis), qui n’est pas réputé pour être le plus hostile à la nouvelle économie, et aux plates-formes en particulier, a adopté une loi

Droit du travail

Juridiquement, si ces plates-formes se contentent de mettre en relation un prestataire de services avec un client, laissant ce prestataire libre de déterminer les modalités selon lesquelles la prestation de travail sera réalisée et le prix auquel elle le sera, il est parfaitement normal que le droit du travail ne s’applique pas.

D’ailleurs, le droit du travail prévoit une présomption, simple, de non-salariat pour les micro-entrepreneurs, un statut utilisé par l’immense majorité des «travailleurs de plate-forme». C’est sur ce fondement que, jusqu’alors, les décisions rendues par les juridictions françaises saisies des demandes de requalification de leur part étaient plutôt orientées vers un rejet. Leur indépendance était reconnue au motif de leur liberté d’organisation (zones et périodes de travail) et du droit dont ils disposent de refuser des requêtes. Lorsqu’il était (rarement) établi, le pouvoir de sanction était analysé comme étant supportable…

En revanche, le droit du travail doit s’appliquer et cette présomption simple de non-salariat être renversée si les plates-formes contraignent le prestataire à exercer son activité en tant que «travailleur indépendant» et à signer un contrat de prestation de services dans lequel sont imposés un cahier des charges strict pour la réalisation de la prestation de travail, un contrôle, direct ou indirect, de l’effectivité de la prestation, les modalités financières et le pouvoir de le sanctionner.

Lobbying des compagnies de VTC

Les VTC ont usé de beaucoup d’artifices pour tenter de convaincre les exécutifs nationaux de la nécessité de trouver un statut spécifique à ces formes atypiques de travail, mettant en avant le fait qu’elles seraient un puissant moteur de création d’emplois et de croissance du marché du travail, permettant à des personnes qui en seraient exclues ou fortement éloignées de le rejoindre.

Bien que leur modèle économique n’ait pas encore fait ses preuves en termes de pérennité ( faillite de Take Eat Easy , cessation d’activité de Foodora dans certains pays, pertes abyssales d’Uber…) et alors même que ce modèle a fait émerger un marché de l’emploi parallèle à l’égard de populations démunies et précaires (mineurs, migrants…), c’est à cet appel que le législateur français vient de céder…

Zone crise

Quand bien même les thèmes que ces chartes doivent aborder seraient destinés à leur assurer une meilleure protection, il ne s’agit en réalité que d’un refus de leur appliquer le droit du travail et d’une volonté de faire échec à la reconnaissance du lien de subordination. Ce faisant, une zone grise est créée entre le salarié et l’indépendant, confortant des pratiques qui non seulement ne protègent pas les travailleurs mais créent des distorsions de concurrence. Il faut en effet garder à l’esprit que leur modèle disruptif repose sur l’externalisation de tous les coûts inhérents à la prestation de travail vers les travailleurs, ce qui leur évite également d’en supporter la charge administrative (recrutement, management, formation, licenciement).

Pourquoi leur faire une place à part dans le système juridique français ? Pourquoi ne pas leur reconnaître le statut de salarié pour la période au cours de laquelle ils réalisent leur prestation de travail, voire pendant la plage horaire au cours de laquelle ils décident de se connecter à la plateforme ? Pourquoi tant d’efforts pour tenter de leur créer un statut spécifique de relation de travail (para-subordination, droit de l’activité économique…) alors que le Code du travail est parvenu à encadrer des emplois atypiques : journalistes pigistes, temps partiel, travail intermittent, heures d’équivalence, astreintes, VRP… ?

Le droit du travail protège le travailleur dans un rapport considéré comme déséquilibré en sa défaveur. Même s’il était avéré que les travailleurs de plate-forme préféreraient conserver le statut d’indépendant, il doit protéger ceux qui ne le sont pas. Or les travailleurs de plate-forme n’ont pas de clientèle propre autre que la plate-forme : il leur est interdit d’échanger leurs coordonnées avec les autres acteurs (restaurants, personnes transportées, personnes livrées…) et certains contrats leur interdisent même de recevoir des pourboires ! Ils n’ont aucune latitude pour déterminer le prix de leur prestation et souvent ne connaissent pas les revenus qu’ils vont retirer de leur prestation de travail avant d’accepter une mission.

Indépendant ou subordonné ?

En définitive, si le travailleur de plate-forme jouit d’une réelle indépendance dans la manière dont il réalise la prestation et dans la détermination du prix de la prestation, il doit être traité comme un indépendant. Pour autant, la plate-forme, qui a créé un service organisé, doit assumer une responsabilité sociale pour ses parties prenantes. C’est le parti qui a été pris dans le cadre de la LOM dont l’étude d’impact se focalisait déjà sur la sécurisation des opérateurs de plates-formes plutôt que sur celle des prestataires de travail.

En revanche, nous estimons que lorsqu’elle se comporte comme un véritable employeur en exerçant un contrôle et un pouvoir de sanction, le droit du travail doit lui être appliqué. Une convention collective dédiée, issue d’un véritable dialogue social, devra également être mise en place. L’émergence du collectif Caval, réunissant toutes les secteurs investis par les plates-formes et ayant pour ambition de créer des sections pour chaque profession «ubérisée» devrait accélérer ce processus.

Cette posture serait d’autant plus pertinente qu’elle serait cohérente avec un projet de directive communautaire relatif à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne  et qui a précisément pour objet de s’appliquer aux travailleurs de plate-forme. Aux termes de ce texte, tous les travailleurs bénéficieraient désormais de meilleures garanties sur leurs conditions de travail et de nouvelles normes minimales leur seraient applicables. L’Union européenne souhaite faire en sorte que ces nouveaux marchés du travail s’inscrivent dans un cadre qui offre une protection de base à tous les travailleurs, garantisse aux employeurs des gains de productivité à plus long terme et permette la convergence vers de meilleures conditions de vie et de travail dans toute l’Union.

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