Formation VTC – milliers de chauffeurs VTC
Formation VTC – milliers de chauffeurs VTC
Comment des milliers de chauffeurs VTC roulent grâce à de faux documents
Malgré la mise en place de cartes sécurisées, de nombreux chauffeurs circulent encore avec des cartes professionnelles réalisées par des faussaires. Enquête.
Le temps lui est compté. Plus vite il aura accumulé les 2000 euros réclamés par son intermédiaire pour obtenir sa nouvelle carte professionnelle, plus vite il pourra reprendre son activité de véhicule de transport avec chauffeur (VTC) en toute transparence. Enfin presque.
Comme plusieurs milliers de chauffeurs en Ile-de-France, Sidoine (NDLR : les prénoms ont été modifiés) roule depuis des années avec une fausse carte. Pour tenter de couper la route aux faussaires, le ministère des Transports a décidé de changer les cartes papier par des cartes sécurisées, type carte d’identité. Plus de 23 000 chauffeurs déjà en activité ont fait cette demande de nouvelle carte, selon le ministère de la Transition écologique.
Ces cartes sont dotées d’un QR Code qui doit permettre de contrôler via une appli que le chauffeur est bien référencé. Les chauffeurs déjà en activité avaient jusqu’au 30 juin pour faire leur demande de renouvellement auprès des autorités. « Mais entre les phobiques administratifs, ceux qui ont perdu leurs points de permis entre temps et ceux qui avaient déjà une fausse carte, les effectifs de chauffeurs ont fondu ! » assure Sidoine.
Des offres à 1500 euros pour une fausse carte
L’obstacle de la carte sécurisée freine l’activité de Sidoine, mais ne l’arrête pas. Le trentenaire est confiant : dans le milieu comme sur les réseaux sociaux, les propositions foisonnent pour en acheter une. « C’est 1500 euros par personne, témoigne-t-il. Et si je ramène un client, c’est 100 euros de remise pour moi ! »
Mounir, chauffeur Uber depuis trois ans, raconte aussi cette fraude qui semble parfaitement organisée. L’étape obligatoire du certificat médical a visiblement été aisée : un intermédiaire lui a fixé rendez-vous chez un médecin agréé par la préfecture. « Sur place, c’était l’usine, ça n’arrêtait pas de défiler. Le docteur tamponne ta feuille, ta visite médicale est validée et voilà. »
Son contact lui remet également un dossier complet à présenter en préfecture. À l’intérieur, « j’avais des documents censés prouver que j’avais déjà travaillé dans des sociétés de transport, on m’a tout donné. La seule bonne information, c’était mon identité. » Mounir obtient une authentique carte professionnelle, et s’inscrit pour devenir chauffeur Uber « sans aucun problème ». « En quelques semaines, j’ai remboursé ma mise de 3 000 euros », sourit-il.
Au début, la naissance des VTC est une aubaine
« A l’origine, on montait une société et on pouvait embaucher n’importe qui », explique un agent des Boers, la police des taxis et des VTC. Pour exercer, il suffisait d’avoir trois ans de permis, un casier vierge et de se faire recruter par un de ces capacitaires, appelés « les Lotis », qui fournissent les voitures correspondant aux critères des plateformes de réservation.
« C’est la possibilité de se faire 3 000 euros par mois pour un vrai bosseur », rêve Sidoine. Sur le papier, la naissance des VTC est une aubaine dans laquelle s’engouffrent comme lui des milliers de personnes, en complément d’un emploi ou à temps plein. « Ça a sorti des gens de la grande précarité, voire de la délinquance », assure le trentenaire.
Seulement, la grogne des chauffeurs de taxi, qui dénoncent une concurrence déloyale, pousse le gouvernement à prendre une première mesure, une carte pro… en carton, et une formation obligatoire. Pour passer l’examen, c’était 202 euros. « Un test pas très difficile, mais qui demande un petit peu de travail quand même, estime Sidoine. Du coup, plein de gens se sont retrouvés sur le carreau. »
L’apparition des premiers fraudeurs
Les premiers réseaux de fraude apparaissent : la carte carton s’achète entre 500 euros et 1 000 euros. C’est la voie choisie par Sidoine, qui a donc acheté sa fausse carte.
« Une vraie fausse carte, corrige le trentenaire. Mon intermédiaire devait avoir le bras long parce que je suis effectivement référencé dans le fichier officiel. » Complicité en préfecture ? Dossier complété avec des faux documents qui ont réussi à tromper la vigilance des agents de l’Etat ? Il n’en saura rien.
Des filières ont déjà été démantelées comme en février 2017 quand un faussaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a été écroué. Il était soupçonné d’avoir écoulé un millier de fausses cartes professionnelles vendues 1 500 euros. Mais cela n’arrête pas le business.
Une photo suffit pour répliquer une carte
Le marché de la fraude semble bien rodé et les autorités peinent à le combattre. Les Boers doivent par exemple faire face à une faille de taille. « Il suffit de prendre la photo d’une carte pour en faire un doublon, rapporte Sidoine. Le flashcode existe, donc il est bon et renvoie bien à une certification sur l’appli des Boers. »
« Le QR Code n’est pas ce qu’il y a de plus dur à falsifier, confirme un policier des transports. Une application nous dit s’il existe ou pas et renvoie sur une page indiquant le numéro de carte de VTC, sa période de validité. Mais on n’a toujours pas le nom ni la photo de celui qui est censé en être titulaire. »
Les plates-formes de transports sur réservation, comme Uber, Kapten, SnapCar, Heetch et d’autres, sont bien censées vérifier carte professionnelle et permis de conduire des chauffeurs à l’inscription puis une fois par an, mais « certaines sont moins regardantes que d’autres », certifie un membre des Boers. « Elles disent qu’elles ne sont pas expertes en faux papiers », complète-t-il.
Chez Uber, deux experts pour vérifier les documents
« Lutter contre la fraude est un objectif prioritaire. Nous avons une procédure stricte et consacrons des moyens technologiques et des ressources humaines à la hauteur des enjeux », affirme-t-on chez Uber, le leader du marché, sans en dire davantage sur la stratégie et le coût.
Le géant des VTC fait en tout cas vérifier par deux experts les cartes professionnelles lors de chaque inscription individuelle « pour s’assurer de la concordance des informations des documents requis (société, assurance, carte grise, etc.) » À défaut, les « comptes des chauffeurs sont désactivés. Ils ne peuvent plus rouler sur notre plateforme tant qu’ils n’ont pas montré les pièces valides », détaille Uber.
Si l’entreprise salue la sécurisation des cartes professionnelles, elle veut aller plus loin : « Nous sommes en faveur de la création d’une base de données consultable en temps réel, permettant de vérifier à tout instant la validité de documents comme le permis de conduire ou la carte professionnelle VTC. » Un outil qui permettrait sans doute d’y voir plus clair dans les 62 556 VTC possesseurs de carte professionnelle, au dernier recensement fait par le ministère.
En attendant, Sidoine est toujours derrière son volant, et met de côté, course après course, les 2 000 euros réclamés par son intermédiaire pour sa nouvelle carte. Pour ça, il roule sous l’identité de son frère…
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