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Plateformes de livraison : le nouveau créneau des réseaux de faussaires

Quelques rapides recherches suffisent : Facebook abrite un vaste marché noir de comptes Uber Eats, Deliveroo et Stuart à louer. Chaque mois, des dizaines de messages sont publiés par des vendeurs ou acheteurs sur le réseau, via des pages réservées aux coursiers. «Cherche un compte Uber Eats ou Stuart à louer», disait l’un d’eux fin avril. «Compte Uber Eats à louer. Prix : 35 %. Horaires : mardi au dimanche de 18 heures à minuit. Pour personne sérieuse uniquement», postait un autre livreur. Le recours à ces plateformes de livraison ayant explosé ces dernières années, leurs besoins de main-d’œuvre sont exponentiels. Pour tenter d’y répondre au plus vite, les procédures d’inscription sont donc simplissimes. Résultat, «certains créent des comptes uniquement pour les louer, sans même jamais livrer», raconte un ancien livreur Deliveroo. Sur Uber Eats par exemple, il suffit d’avoir le statut d’autoentrepreneur puis de remplir un formulaire en ligne. Une fois les documents transmis validés par la société, il n’y a plus qu’à récupérer le sac siglé de la marque pour commencer à livrer. «C’est la facilité d’inscription et l’absence de statut qui pousse à la fraude», regrette un autre coursier qui souhaite rester anonyme. Contacté, l’un de ces loueurs reconnaît utiliser le compte d’un cousin ancien livreur. «Je sous-loue le compte 120 euros par mois», explique-t-il. Impossible, en revanche, de s’assurer qu’il reversera au livreur l’argent arrivé sur son compte bancaire une fois les courses réalisées, même s’il jure être honnête.

«Réussite».Ces combines sont surtout destinées à exploiter ceux qui ne peuvent pas avoir le statut d’autoentrepreneur : les sans-papiers et les mineurs. «Il y a une espèce de hiérarchie dégueulasse qui s’est mise en place. Les livreurs précaires exploitent d’autres plus précaires. Parfois, ça va loin : les migrants parviennent à avoir un compte parce qu’Uber n’est pas très regardant, puis font un trafic de la main à la main et revendent à des mineurs», observe Jérôme Pimot, porte-parole du Collectif des livreurs autonomes parisiens (Clap), embryon de regroupement de défense des droits des coursiers. En 2018, plusieurs médias dont France 2 et l’Express avaient révélé l’existence de ce marché noir à destination des migrants. Certaines des plateformes directement visées, comme Uber, avaient à l’époque décidé de renforcer les contrôles. Ce qui ne semble pas avoir découragé les fraudeurs, dont les procédés semblent même s’être professionnalisés. Pour ne pas se priver de cette manne quotidienne, certains se sont rapprochés de faussaires, désormais fournisseurs de documents illégaux pour mineurs et migrants désireux de travailler.

Pour le constater, nous nous sommes fait passer pour un jeune de 15 ans souhaitant devenir livreur. Sur Facebook, nous entrons en contact avec un homme qui propose de louer des comptes Uber Eats. Première question : «T’as une carte d’identité française ?» Et puis, aussitôt, l’explication du système : «Nous ne louons plus de comptes car Uber les bloque à cause des clients qui balancent que le livreur ne correspond pas à la photo du compte. En revanche, nous ouvrons un compte personnel. Nous créons ensuite la pièce d’identité française, tu auras 18 ans sur Uber. Tu auras le compte à ton nom, ta photo…»

Fabriquer une fausse carte d’identité, ce n’est donc pas risqué ? Le faussaire se montre rassurant : «C’est juste pour Uber, tu ne le dis à personne : 100 % de réussite pour le moment. Nous, on envoie le document, il est validé en deux heures, tu te présentes à un point pour récupérer ton sac de livraison et tu peux commencer le lendemain.»Pour conclure l’affaire, il partage dans la foulée trois photos de fausses cartes d’identité prises à l’arrache, certifiant qu’elles sont fraîchement produites pour duper Uber. Et que nous pourrions y placer n’importe quel nom, tant que la photo correspond : c’est elle qui servira à éviter les dénonciations de clients et les contrôles de la multinationale, notamment la reconnaissance faciale.

Le faussaire s’occupe aussi d’enregistrer le mineur en autoentrepreneur avec la nouvelle carte et de lui ouvrir un compte sur une banque en ligne si besoin. Des services «facturés» entre 40 et 100 euros selon une brochure qu’il nous envoie. Pour prouver que son réseau est professionnel, le faussaire partage aussi une photo de billets de banque assortie d’un commentaire énigmatique : «Plus tard, je proposerai des services de faux billets.» Dans tous ses messages, il ne parle jamais en son nom, utilisant le «nous» qui laisse planer le doute sur son identité et l’étendue de son réseau. On découvre en poursuivant la conversation qu’il s’agit d’un ancien salarié d’Uber revanchard. Il s’explique : «Je représente un groupe de plusieurs personnes proposant plusieurs services moyennant des sommes. Nous partagerons à quatre les bénéfices engendrés.» Difficile de savoir si ces informations sont vraies ou s’il ne s’agit pas simplement d’un arnaqueur à l’ancienne profitant des latitudes de la nouvelle économie. Pour prouver qu’il dit vrai, il partage des captures d’écran de conversations avec de nouveaux livreurs Uber Eats satisfaits de ses services.

«Paysage».Secrétaire général du Syndicat des chauffeurs privés-VTC, Sayah Baaroun est à peine étonné de ces révélations. L’emprise des faussaires sur les travailleurs ubérisés, il l’a constatée depuis longtemps dans son secteur. «Il y a plein de chauffeurs qui conduisent avec de fausses cartes VTC, on les connaît et on les voit quotidiennement», assure-t-il.

Dans cette activité, la fraude vise aussi à contourner des contrôles plus stricts instaurés récemment. Depuis la loi Grandguillaume, entrée en vigueur le 1er janvier 2018, les chauffeurs VTC sont obligés de passer un examen et de posséder ainsi un permis. Les policiers de la direction du renseignement de la préfecture de police ont déjà démantelé en 2017 un réseau de faussaires, mais selon les acteurs du secteur, certains exerceraient encore : «Quand on roule on les voit bien… On ne peut pas vraiment passer à côté, ils font partie du paysage», reconnaît un chauffeur Uber. Un de ses confrères avance d’autres arguments pour expliquer l’attrait des faussaires pour les plateformes : «C’est de l’argent facile pour eux aussi, ceux qui cherchent à s’inscrire sur Uber sont tellement prêts à tout pour travailler… Il n’y a pas vraiment de statut non plus pour les gens comme nous, pas de reconnaissance de notre boulot, ça ne donne pas vraiment envie de le respecter.»

Du côté d’Uber, interrogé par Libération, on assure que les contrôles sont de plus en plus stricts sur sa plateforme «Drive», ainsi que sur celle de livraison. Et qu’on procède régulièrement à de nouvelles inspections de la base de données contenant les documents officiels. Les faussaires, eux, risquent gros : le délit de faux ou d’usage de faux est puni jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

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